Un bout du monde, un début
À deux ans, je débarque sur une île qui n’est pas encore la mienne.
Maurice.
Pas celle des guides de voyage, des piscines à débordement ou des cocktails sucrés.
Une île qui se vit à hauteur d’enfant.
Avec du sable dans les chaussures, de la lumière dans les yeux et l’eau pas loin, toujours.
Mes parents ont tout quitté pour recommencer.
Ma mère, sage-femme, s’adapte, apprend, puis décide.
Elle choisit de ne plus seulement intervenir à l’instant T de la naissance,
mais d’accompagner l’avant, l’après, tout ce qui ne se voit pas mais compte tout autant.
Préparer les corps, rassurer les esprits, faire de ce passage un moment qui se traverse à deux, parfois à trois.
Elle devient un pilier pour d’autres, comme elle l’est pour nous.
Maman bâtit, papa trace
Il s’embarque vite dans une nouvelle mission.
Microsoft. Ordinateurs, horaires décalés, déplacements à la chaîne.
Il est rarement à table, souvent en vol, fatigué mais tendu vers une vision.
Longtemps, je ne comprends pas.
Je lui en veux.
Aujourd’hui, je sais : il tenait la barque pour que nous puissions, nous, rester sur le rivage.
L’instinct de vivre
Moi, je vis.
Je me lève tôt, je cours, je grimpe, je saute, je tombe.
Je passe mes journées dehors.
J’aide quand je peux, je fais des blagues, je fais des bêtises.
Je joue à être grand alors que je suis encore petit.
Je veux déjà tout, vite. Je veux grandir, j’attends 18 ans comme on attend Noël.
Un frère pour toujours
À cinq ans, un nouveau chapitre arrive : mon petit frère.
Pas juste un bébé, une extension de moi.
On grandit ensemble, comme deux chiens fous lâchés sur une plage vide.
Toujours collés, toujours complices.
Lui et moi, c’est une longue conversation qui ne s’est jamais interrompue.
Un jour, je découvre le kitesurf.
Puis le windsurf.
Et c’est le deuxième qui m’accroche : plus rapide, plus rare, plus libre.
Avec mon meilleur ami, on est seuls au monde sur nos planche à voiles.
C’est notre langue à nous.
Et puis un jour, il part.
Et moi, j’arrête. Sans trop savoir pourquoi.
Un choc gravé
À l’école, je fais le minimum.
Pas par flemme, par instinct : je veux vivre, pas m’asseoir.
Mon terrain d’apprentissage, c’est dehors.
Mais mes soucis de santé reviennent.
Retour à Necker. Puis à La Réunion. Nouvelles opérations. Longues semaines.
Ma mère à mes côtés, encore et toujours.
Là-bas, une rencontre me marque à jamais.
Une fille. Petite. Fragile. Forte.
Un bras. Pas de jambe. Pas de cheveux. Pas sa mère à côté.
Pourtant son sourire est plus grand que sa douleur.
On se voit tous les jours. On ne se comprend pas par les mots, mais on se parle quand même.
Dans ses yeux, je lis un message clair :
“Sois heureux. Toi, tu peux.”
L’île comme tremplin
Le sport revient. Toujours.
Mon père devient mon coach de foot.
On passe du temps ensemble.
Il partage ce qu’il aime : le vent, la glisse, la vitesse.
C’est par là qu’il a rencontré ma mère.
C’est par là qu’il m’a transmis ce besoin d’aller vite, d’aller loin, avec l’idée de toujours progresser et de se dépasser.
L’île m’a forgé.
Pas comme on forge un soldat.
Comme on forge un caractère : par la mer, le manque, les sourires, les silences, le rythme du sifflement du vent.
J’y ai appris que la liberté se construit. Même sur une île.